LE VIN DANS LA CUISINE : UN MARIAGE POUR L’éTERNITé

Comme le dit si bien le chef multirécompensé Guy Savoy en son restaurant de l’hôtel de la Monnaie à Paris, «le vin et la cuisine sont l’ADN de la gastronomie française». Il y a bien sûr les accords entre les mets et les breuvages qui font les riches heures d’un simple mâchon comme d’un repas étoilé. Mais ici, on veut s’attarder sur l’autre aspect du patrimoine culinaire français : le vin dans la cuisine. Que serait un poulet de Bresse aux morilles sans son vin jaune ? Une daube provençale sans son côtes-du-rhône rouge ? Une choucroute sans son riesling ? Un sabayon sans son champagne ? Il y a dans ces mariages une intimité qui dépasse la simple complicité gustative. Ils disent l’appartenance à un terroir, à une histoire culinaire de la vigne aux fourneaux qu’ils soient familiaux ou professionnels. «La cuisine au vin parle de goût, souligne l’autrice culinaire Ségolène Lefèvre dans son très inspiré le Vin dans la cuisine (1). Elle représente les expériences culinaires que firent et font encore les cuisiniers et cuisinières professionnelles ou amateurs, elle est l’expression d’une alliance entre des mets et montre la richesse, la variété des productions régionales, la cuisine à ses origines n’utilisant que les produits qui sont à sa portée à l’exception des épices et du sucre. Nous dirions maintenant une cuisine locavore, terme moderne remplaçant celui de régional, entaché de rusticité chez certains esprits modernes. La cuisine au vin fut dès l’origine élaborée par des cuisinières campagnardes vivant en autarcie alimentaire, par des cuisiniers urbains se fournissant sur des marchés des producteurs locaux et chez les apothicaires pour les plus aisés.»

Apicius

Il y a bien longtemps que le vin et la cuisine ont fêté leurs noces de platine. «Le vin à Rome n’est pas seulement une boisson – mais aussi un ingrédient de base que l’on retrouve dans la plupart des recettes», relèvent Nicole Blanc et Anne Nercessian dans la Cuisine romaine antique (2). Dans sa sauce pour le sanglier, Marcus Gavius Apicius (25 av. J.-C. - 37 ap. J.- C), le plus célèbre gastronome de l’Antiquité explique : «Pilez du poivre, de la livèche, des baies de myrte épépinées, de la coriandre et des oignons ; mouillez de miel, de vin, de garum (une sauce condimentaire à base de poisson) et d’un peu d’huile, faites chauffer et liez à la fécule. Arrosez de cette sauce le sanglier après l’avoir cuit au four. Accompagne tout gibier.» Au Moyen Age, le Ménagier de Paris, livre de recettes écrit au XIVe siècle, propose un civet de moules préparé avec du vin blanc et moult épices. Ségolène Lefèvre explique qu’à cette époque «le vin pouvait être utilisé comme un artifice pour changer le goût d’une viande : une marinade très fortement épicée pouvait donner à une pièce de boucherie un goût de gibier». Elle cite la recette de «Bœuf comme venaison d’ours» du Ménagier de Paris : «Du giste de bœuf. Fait l’en sausse noire (à base de vin rouge) de gingembre, clou de girofle, poivre long, graines, etc. Et met l’en en chacune écuelle deux lèches (morceaux). Ainsi on le mange à saveur d’ours. Et subjuguer les hôtes qui croiront déguster cette viande rare et donc prisée.»

Alchimie

Pour l’autrice, c’est indéniablement avec les ragoûts et les braisés que le vin déploya toute sa richesse dans la cuisine du XIXe siècle. Pour mémoire, le ragoût mijote dans le vin alors que le braisé consiste d’abord à faire rissoler des viandes dans une matière grasse avant de les mouiller pour une longue cuisson. Ségolène Lefèvre parle de cette subtile alchimie où «le vin magnifie les mets les plus simples, les chairs les plus humbles se transforment en pur délice lors de la subtile alchimie de la cuisson». Do

Pierre Gagnaire

Le vin dans la cuisine est aussi mémoriel qu’intemporel. Il dit aussi bien la transmission que toutes les formes d’inventivité : aux fourneaux familiaux avec un jarret de bœuf imposant comme un billot de chêne braisé au vin blanc expérimenté cet été dans un bout du monde. A la carte du triple étoilé Alexandre Couillon à Noirmoutier avec son «homard de l’île, jeunes blettes et crème de carottes». Enfin, il y a le génie culinaire et poétique d’un Pierre Gagnaire, chef archiétoilé qui lui ne cuit jamais le vin «car ça n’a aucun intérêt, ça le dénature». Il l’utilise par petites touches comme un aquarelliste du goût : un trait de champagne dans un velouté de faisane, le Macvin jurassien en touche finale sur une fondue d’endives avec un biscuit de foie gras. On donnerait jusqu’à notre dernière chemise pour être témoins de tels mariages de saveurs.

(1) Ed. Confluences, 2016, 16 euros.

(2) Ed. Glénat, 2020, 39 euros.

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