LA RECETTE DU DIMANCHE : LA FLAMICHE DE LA SAINT-FLORENT

Attention pépite ! Si d’aventure, chez un bouquiniste, un libraire d’occasion ou sur le Net, vous tombez sur Le poireau dans tous ses états (1), procurez-vous ce livre sublime sur un légume qui ne la ramène pas. Son auteur Guy Jacquy (1932-2013) a consacré sa vie à cette plante potagère à Roye, dans la Somme, capitale de la fameuse flamiche aux poireaux. À telle enseigne que sur son avis de décès figurait la mention «Guy Jacquy, dit “Jacquy”, poireautologue.»

Mécanique du poireau

On ne peut que saluer la mémoire de cet homme tout à la fois jardinier, cuisinier, encyclopédiste et écrivain du poireau. A notre connaissance, il fut le seul être humain à définir la «mécanique» du poireau avec une précision d’horloger suisse : «Si l’on “démonte” un poireau, on s’aperçoit très vite que toutes les pièces sont ajustées avec une grande précision, que rien n’est laissé au hasard et que la symétrie même est respectée : une feuille à droite, une feuille à gauche… La feuille naît juste au-dessus des racines. Elle doit avoir la forme d’un tube cylindrique parfait, terminé vers le haut par un biseau se prolongeant en un très long triangle. Pour que cette partie vert foncé ait de la tenue, il faut la repasser et lui faire un pli net sur toute la longueur. Comble du raffinement, le cylindre, pardon, le tube, est chemisé d’une peau argentée, transparente, du plus bel effet.»

San Antonio

Non seulement, le poireau remplit les gamelles depuis des siècles, mais il a également abondamment nourri la langue française et les exercices de style en toute liberté comme le rapporte Guy Jacquy à propos de Frédéric Dard (1921-2000), l’auteur prolifique de San Antonio : «Frédéric Dard, peu avare en néologismes, invente “poireautage” pour l’action d’attendre et nomme “poireaute” une longue attente ; avec un sans-gêne incroyable, il utilise le verbe “poireauter” pour “cultiver les poireaux”. La citation suivante démontre toute la liberté créative que prend San Antonio avec la langue française : “J’ai beau visionner ces nabus ‘paysans’, je me rends compte qu’aucun d’eux n’a remarqué notre descente en voltige. Bien trop occupés à poireauter, naveter, carotter et chouer.”»

Pâte brisée ou feuilletée ?

Guy Jacquy consacre un copieux chapitre aux flamiches indissociables du poireau. Où l’on apprend que la Picardie «champ de batailles depuis des siècles» demeure «le champ clos de deux grandes querelles certainement éternelles : «La ficelle picarde : à la crème ou à la béchamel ? La flamiche : pâte brisée ou feuilletée ? Le choix de la pâte de flamiche divise des villages, des familles. Plus rarement ces dernières, car chacune est la place forte d’une idée fixe, indiscutable, sectaire : le lieu où habitent les partisans acharnés de l’une des deux pâtes.» Pourtant, souligne le poireautologue, «pendant des siècles, le problème du choix entre la pâte feuilletée et la pâte brisée ne s’est pas posé. La flamiche, à l’origine, n’est le plus souvent que l’utilisation d’un morceau de pâte lors de la cuisson hebdomadaire du pain. La différence essentielle entre la flamiche [ou flamique] et le pain, en dehors de l’épaisseur, provient du mode de cuisson. Pour cuire du pain, il faut, par un grand four de bois, chauffer les pierres ou les briques d’un four. Elles jouent le rôle d’accumulateur de chaleur. Quand la température nécessaire est atteinte, les braises et les cendres sont enlevées, et alors seulement la pâte à pain est enfournée. La flamiche, ainsi que la flammekueche en Alsace, est mise au four au moment de l’allumage du bois et cuite à la flamme. Ce qui semble être à l’origine de son nom : flamme /flamique (certains linguistes prônaient la filiation Flandres /Flamiche. Cette théorie est maintenant abandonnée). Très tôt, le mot se francise et devient “flamiche”. En Picardie, les deux expressions cohabitent encore.»

La recette

Parmi les innombrables recettes de flamiche proposées par Guy Jacquy, on a choisi celle de la Saint-Florent dont il dit : elle «donne au poireau le rôle vedette. Elle lui conserve son authenticité. La saveur et l’odeur ne sont pas étouffées par des ingrédients dominateurs. Une recette à faire lentement, à déguster en jouissant de chaque bouchée. Elle sera accompagnée avantageusement par un vin blanc tel que le Menetou-Salon ou un rouge léger, un saumur-champigny, par exemple.»

Pour la pâte brisée (6 personnes), il vous faut 250 g de farine ; 150 g de beurre ; 1 verre d’eau ; 3 pincées de sel. Pour la garniture : 1 kg de poireaux ; 50 g de beurre ; 3 cuillères à soupe de crème fraîche ; du sel et du poivre.

Préparez la pâte : sortez le beurre du frigo un peu à l’avance pour qu’il ramollisse et découpez-le en dés. Mélangez la farine et le sel sur votre plan de travail ou dans un grand saladier. Incorporez les dés de beurre en pétrissant légèrement du bout des doigts jusqu’à ce que le mélange soit sablé. Ajoutez tranquillement l’eau et malaxez jusqu’à obtenir une boule. Enveloppez-la d’un film plastique et réservez-la au frigo au moins une heure.

Epluchez les poireaux, en gardant un peu du vert. Lavez-les, fendez-les en deux dans le sens de la longueur. Coupez-les en morceaux de 1 cm. Faites fondre le beurre dans une large poêle, faites-y revenir longuement et très doucement les poireaux, en remuant souvent. (Cuisson environ 20 à 25 minutes à feu doux.) En fin de cuisson, ajoutez la crème fraîche, remuez pour bien imprégner les poireaux, continuez jusqu’à évaporation du liquide. Salez, poivrez. Foncez une tourtière, tapissée de papier cuisson, d’un peu plus de la moitié de la pâte, étalez la garniture, recouvrez du restant de la pâte, soudez soigneusement les bords avec un peu d’eau. Faites un trou de la taille d’une pièce de 5 centimes au centre. Dorez au jaune d’œuf. Cuisez à 180 degrés, trente minutes dans un four préchauffé. Servez chaud.

(1) Ed. Vivement dimanche, 2001, 28 euros.

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