LA GASTRONOMIE ANGLAISE HACKE LES TABLES PARISIENNES (ET PERSONNE N’AVAIT MISé UN POUND SUR CETTE HYPE)

Considérés comme des mangeurs de jelly et avaleurs de corned-beef en boîte, les Anglais subissent le mépris des gastronomes français. Mais les choses ne seraient-elles pas en train de changer ?

La revanche des rosbifs - Considérés comme des mangeurs de jelly et avaleurs de corned-beef en boîte, les Anglais subissent le mépris des gastronomes français. Mais les choses ne seraient-elles pas en train de changer ?

« La cuisine anglaise, c’est simple : quand c’est froid c’est de la bière, quand c’est chaud c’est de la soupe » : une citation de Coluche que bon nombre de Français pourraient aussi revendiquer tant la cuisine anglaise suscite mépris et railleries de notre côté de la Manche. Pourtant, une petite révolution, anglaise cette fois-ci, est en train de toucher le monde de la restauration parisienne, si l’on en croit le nombre d’ouvertures de tables se revendiquant british en quelques mois.

A deux pas d’Opéra, le chef britannique Calum Franklin vient d’inaugurer Public House, la nouvelle adresse courue des cadres du quartier. La déco est spectaculaire, avec son immense bar et ses larges banquettes en cuir et tartan. Instagrammable à souhait, qualité indispensable à un succès rapide, Public House séduit aussi dans l’assiette. Il faut dire que son chef a reçu de nombreux prix et est surnommé « The Pie King » par son compatriote Jamie Oliver.

Et effectivement, ce sont plusieurs tourtes traditionnelles à base de bœuf, volaille, cheddar et pommes de terre qui se présentent sur la carte. Une spécialité anglaise qui a tout pour plaire aux Français, amateurs de quiches et tartes salées, avec cependant le tarif londonien qui rend l’expérience plus typique (entre 19,50 et 29,50 euros la pie individuelle). Un autre plat est aussi mis à l’honneur, le fameux fish and ships qui a déjà conquis les brasseries et enseignes de street food parisiennes depuis plusieurs années.

Est-ce d’ailleurs ce plat qui aurait ouvert la voie à la découverte d’autres spécialités anglaises ? Alexandre Chapier, un chef originaire du Sud-Ouest vient d’ouvrir The Blossom Arms dans le 17e arrondissement. Il avait pensé au départ ouvrir une enseigne entièrement dédiée à ce plat avant de finalement élargir son offre avec un pub spécialisé en fruits de mer : « J’ai fait pas mal de tables très variées dans ma carrière, de l’étoilé au coffee shop, et je suis tombé complètement amoureux de Londres où j’ai travaillé quatre ans ».

Y compris de sa gastronomie ? « C’est vrai qu’on mange souvent assez mal dans les pubs, car c’est pratiquement toujours du surgelé. Heureusement, il y a maintenant des gastro pubs qui mettent à l’honneur la bonne cuisine », explique le chef. Pourquoi donc ouvrir un pub à Paris si ses souvenirs ne sont pas si inoubliables ? « Ce que j’aime avant tout dans les pubs, c’est la convivialité, le fait qu’on puisse s’y retrouver à toute heure en famille ou entre amis, ajoute le chef, Et puis, en dehors des pubs, on mange clairement mieux à Londres qu’à Paris. C’est une cuisine beaucoup plus mélangée, qui est moins restée figée dans la tradition que la cuisine française. »

Des Parisiens à la conquête des « sausage rolls »

Un avis partagé par Marine et Marine, deux amies qui viennent d’ouvrir le comptoir Very French Beans non loin de The Blossom Arms dans le 17e. Elles aussi ont vécu à Londres et elles aussi ont eu un coup de cœur pour cette gastronomie qu’elles ont souhaité importer.

« Dans notre entourage, beaucoup de personnes ne comprenaient pas pourquoi on ouvrait une adresse avec des spécialités anglaises. Pour eux, c’est une alimentation insipide, vraiment pas bonne. Mais nous, on l’a testée lors de notre séjour à Londres, donc on savait qu’on allait pouvoir séduire les Parisiens, car c’est une cuisine très cosmopolite, avec beaucoup d’emprunts ».

A la carte, elles proposent des plats simples du quotidien comme les pies, des sausage rolls (feuilletés à la saucisse) ou encore des sandwichs à l’œuf et au cresson. Elles confient que, à l’ouverture de leur échoppe, certains étaient dubitatifs mais après neuf mois, elle ont su fidéliser leur clientèle : « Les gens sont contents de découvrir cette gastronomie. Au début les sausage rolls ne se vendaient pas, mais maintenant que les clients ont goûté, ils en redemandent ! Et on a aussi certains clients qui ont vécu à Londres et qui nous disent être ravis de retrouver les saveurs de là-bas ».

Est-ce donc le Brexit, la starification de certains chefs à la télé comme Gordon Ramsay ou encore le succès de la série The Crown qui expliquent cet intérêt soudain pour les assiettes de nos voisins britanniques ? Ou encore le goût de la nouveauté, alors que de nombreuses contrées gustatives ont déjà été explorées par les chefs parisiens ?

Pour Sarah Lachhab, coautrice avec Aurélie Bellacicco d’un livre « audacieux » de recettes anglaises, Angleterre, Tea, Piccalilli, Pasty (Ed. de La Martinière), c’est un peu tout ça : « Les Français nourrissent une sorte d’obsession pour l’Angleterre, que ce soit au foot ou niveau alimentation, c’est un peu qui aime bien châtie bien. Mais la cuisine anglaise a su évoluer, notamment grâce à son passé impérial. C’est une cuisine qui a été moins codifiée que la française, laquelle a été très écrite par des chefs comme Escoffier. La gastronomie anglaise est plus libératrice, moins dans les carcans, et de nombreux chefs français ont toujours un œil sur elle ».

Est-ce qu’un plat pourrait connaître à Paris le même succès que les burgers américains ou les sushis japonais ? « Le Battenberg cake, un gâteau composé de carrés de pâtes colorées sera la prochaine star d’Instagram ! », prédit Sarah Lachhab. Les paris sont ouverts. Reste à voir maintenant si la mode pour la cuisine anglaise sera aussi obsolète que le règne d’Edouard VII ou passera à la postérité comme celui d’Elizabeth II.

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