LA MOUSSE DE LA BIèRE, LA SAVEUR DU VIN... DéSOLé MAIS OUI, J'AIME LA VIèRE

A l’automne, une campagne d’affichage a popularisé la « vière », une boisson hybride de vin et de bière, avec un festival dédié. Aussitôt, les réseaux sociaux saluent la nouveauté, ce « mélange sans doute désastreux de bière et de vin », avec leur mansuétude habituelle : « OK Google "s'exiler sur une lune de Saturne" », frissonne l’un, tandis que d’autres s’interrogent : « un mix de biere et vin??? c’est pas interdit dans la constitution même ??? » « Notre pays n'a-t-il pas déjà assez souffert ? » Entre réactions épidermiques ou blasées, c’est un simple refus de principe qui s’impose.

« Je viens de découvrir la "vière" mélange de vin et de bière que tu peux boire dans une petite brasserie locale de Pantin en Seine St Denis. Je hais profondément notre époque.

- Et c’est bon ?

- Aucune idée, je viens de voir ça aux infos. »

En France, la nouveauté est toujours suspecte surtout lorsqu’elle s’invite sur nos papilles et qu’on touche au vin. Pour oser un tel blasphème, il faut une bonne dose d’inconscience, celle que l’on ne trouve que dans l’Est parisien. Allons-y.

À LIRE AUSSI : Les caves coopératives, 4 idées reçues, 10 bouteilles indispensables

Surprenant, frais, léger

La découverte a lieu à Pantin (et même Pantine cette année, ville inclusive, allez-y, hurlez), un dimanche après-midi, à la brasserie Gallia. Une ancienne usine, avec hangars en briques et métal, mobilier brut, on y trouve un flipper et quelques affiches du Grand Soulagement : remplacer les males alpha par des Oméga 3, remplacer la cinq G par le point G. Dans la courette, les tables disparates accueillent un clientèle de trentenaires, qui boivent des bières dans un décor de palettes, tonneaux et arbustes.

Derrière le comptoir, à la pression ou en bouteilles bariolées, les vières invitent à la dégustation. Ça se tente ? Oui. Une vière rouge pour commencer. Surprise : c’est bon. Pour le dire simplement, j’avais très peur d’une catastrophe de type « rosé pamplemousse », avec surcharge de sucre.

Mais la vière est bien plus subtile. La consistance est indubitablement celle d’une bière, avec son caractère plein et mousseux. La fraîcheur s’impose. Le goût ? La bière d’abord, avec un zeste d’amertume en moins. Mais, bien vite, c’est le vin qui prend le dessus et donne sa saveur à cette boisson inattendue. Un vin pétillant et léger. En quelque sorte, c’est une boisson en deux temps, qui surprend le palais, peu habitué à un tel mélange. Les saveurs sont mêlées mais les papilles les dissocient sans peine. Je poursuis mon reportage avec une vière blanche. Ou une bière de blanc ? L’accord est plus agréable encore, sans doute parce que le vin blanc s’accommode davantage de la fraîcheur.

À LIRE AUSSI : Le Petit Chablis, le plus voltairien des vins

Co-fermentation et cépages variés

Rouge, blanc ? Et même rosé ? Oui, il n’existe plusieurs vières. Les assemblages s’appuient, « presque toujours sur le même moût de bière, blanche, classique, avec un peu de blé dedans et assez peu de houblon », explique Rémy Maurin, fondateur de Gallia, qui vient du mouvement des micro-brasseurs. La co-fermentation peut commencer. « Je pars du principe qu’il faut d’abord démarrer la fermentation avec les raisons puis, fermenter le moût de bière grâce à celui du raisin. Le goût de la bière est assez neutre, on cherche surtout la texture pour valoriser le goût du raisin. » Et c’est là qu’intervient la variété : chardonnay, gamay, gewurztraminer, merlot, silvaner… Et du « pinot noir, le roi des cépages ! »

Les premiers essais datent de 2019. « Au début, c’était difficile d’acheter du raisin. Les vignerons étaient un peu sceptiques et on n’avait pas de produit à présenter. Maintenant, quand je vais dans un salon, je fais goûter le produit. » Alsace, vallées de la Loire ou du Rhône, sud-ouest… : les domaines avec lesquels il travaille comptent « entre 15 et 30 hectares, pas plus. Les raisins sont vendangés à la main. S’ils sont écrasés par des machines, la fermentation démarrera trop tôt, avant que ça arrive chez nous. Et du bio aussi, car nous avons besoin des levures sur les raisins. S’ils sont traités, ça tue la flore. » La production reste encore artisanale, quelques centaines d’hectolitres, et chaque cuvée est une découverte. « C’est un peu d’expérience et beaucoup d’intuition. » Mais la vière ? D’où vient l’idée ?

À LIRE AUSSI : Bière "anti-woke" : aux États-Unis, le boom du marché des produits "de droite"

Une tradition qui remonte à… l’Antiquité !

N’en déplaise aux conservateurs, ce n’est pas forcément un produit révolutionnaire. Les bières s’accommodent de longue date d’assemblages fruités en Belgique, comme en France où l’on parle d’oenobières ou de bières au moût, tandis qu’en Italie la brasserie Barley commercialise depuis 2006 des bières IGA (Italian Grape Ale).

Et, surtout, « la co-fermentation a toujours existé ! Elle est pratiquée depuis des siècles. Il y avait moins de règles avant, on catégorisait sans doute moins ». Rémy Maurin me parle d’une bière Etrusca, que l’on consomme depuis l’Antiquité. « Un archéologue a retrouvé la recette ancienne d’une bière avec du romarin, du moût de bière et du raisin. Une brasserie italienne l’utilise et vend cette bière Etrusca. » 

Dans cette logique de réinvention du passé (qui évoque parfois le mouvement de la musique baroque), les clins d’œil sont possibles. Pour la fermentation, Rémy Maurin utilise des tonneaux mais aussi des amphores. « C’est plus neutre qu’une barrique et ça donne un peu de minéralité. On cherche la micro oxygénation. Évidemment, c’est un contenant un peu fragile… » 

Fragile, comme nos certitudes à l'heure de l'apéro...

2023-06-05T15:17:27Z dg43tfdfdgfd