LOW-TECH: ILS CUISINENT SANS éLECTRICITé NI GAZ ET NE LE REGRETTENT PAS

Et s'il suffisait de quelques coups de pédale pour mixer sa soupe, ou de laisser sa marmite au soleil pour faire cuire sa ratatouille? Pour Éric Billey, rien de plus simple. À 62 ans, ce retraité s'est construit une multitude d'objets ménagers qui fonctionnent sans électricité: vélo-mixeur, four solaire, marmite norvégienne... «Ils peuvent couper le courant, moi je suis prêt», plaisante l'éco-artisan de formation, qui vit avec sa femme à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales).

Pas de gaz ou d'électricité? Pas de problème au moment de cuisiner pour Éric, retraité argelésien bricoleur, avec ce four solaire. À condition qu'il fasse beau... | DR

Depuis plus de dix ans, Éric fait partie des adeptes français de la low-tech, aussi appelée «technologie douce». Construite en opposition au high-tech, cette démarche cherche à répondre aux besoins du quotidien, comme la cuisine, avec des appareils aussi simples que possible. Résilients, réparables et efficaces, ils sont souvent fabriqués à partir de tutoriels partagés en ligne, par exemple sur les sites de l'Atelier Paysan ou du Low-tech Lab. Le groupe Facebook de ce dernier réunit à lui seul près de 70.000 internautes, qui y partagent leurs réalisations.

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«Moins simple que de presser un bouton»

Pour Éric, le déclencheur a d'abord été économique. «En 2010, j'ai appris que ma retraite serait de 850 euros par mois. J'ai décidé de limiter au maximum les dépenses inutiles», justifie-t-il, déterminé. Petit à petit, il se met à cultiver ses propres légumes et féculents. Et il décide de dire adieu aux appareils électroménagers coûteux à acheter et à entretenir. «Chaque fois que j'avais besoin d'un outil, je cherchais à le fabriquer en version low-tech plutôt qu'à l'acheter», raconte cet habitué du bricolage.

Fini, la machine à café Nespresso. «J'avais calculé que mon stock de capsules pour quelques mois me coûtait des centaines d'euros», se souvient-il. Pour ses cinq à six tasses par jour, il privilégie désormais une simple cafetière sur le feu. Et pour du café moulu frais, il se sert d'un vélo-mixeur, surnommé le «vélo-scie-râpe-tor». Cet outil aux allures chimériques combine un cadre de vélo avec diverses extensions –mixeur, moulin ou encore une perceuse– et remplace l'électricité par des coups de pédale.

Soupe, smoothie ou café moulu: après l'effort, le réconfort avec le vélo-mixeur d'Éric, retraité qui vit avec sa femme à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales). | DR

«C'est sûr que c'est moins simple que de presser un bouton, concède Éric. Mais devoir travailler plusieurs jours pour payer des capsules de café, je ne voulais plus vivre comme ça.» Grâce à son mode de vie, le retraité bricoleur estime être passé, à la fin de sa carrière, de semaines de soixante heures de travail à moins de quarante. «J'avais l'impression de pouvoir prendre le temps de vivre, de voir mes enfants... La low-tech, ça m'a rendu plus zen», confie-t-il.

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«Pour la plupart des adeptes, la low-tech n'est pas vécue comme un retour en arrière», assure Morgan Meyer, directeur de recherche au Centre de sociologie de l'innovation et au CNRS, qui a suivi de nombreux usagers de low-tech après leurs transitions. «Ils ont tendance à voir les côtés positifs de ces nouveaux outils, plus abordables, conviviaux, démocratiques, etc.»

Bricolée ou achetée, la cuisine low-tech pour tous les budgets

Mais les tutoriels d'objets et appareils low-tech peuvent intimider les moins bricoleurs. Qu'à cela ne tienne: certains préfèrent les acheter prêts à l'emploi. C'est le cas de Béatrice et Patrick B., deux Normands de 46 et 56 ans. Il y a un an, le couple, qui habite près du Havre (Seine-Maritime) avec ses deux enfants, a acheté deux fours solaires produits par la start-up française Solar Brother. En forme de parabole pour l'un, de boîte pour l'autre, ces fours peuvent cuire des aliments et plats sans électricité, grâce à des miroirs qui concentrent les rayons du soleil sur une plaque ou une marmite.

Un autre genre de four solaire chez Béatrice et Patrick, celui-ci en forme de parabole et dont les performances énergétiques sont saluées par le couple de Normands. | DR

Cadre chez TotalEnergies, «mais écolo», nuance-t-elle, Béatrice s'est tournée vers la low-tech pour consommer moins de gaz. Son mari Patrick, ancien ambulancier et homme au foyer, «n'y croyait pas trop», même si l'idée de cuisiner sans une électricité devenue chère l'attirait. Mais il a vite été séduit par les performances des fours, qui peuvent faire bouillir un litre d'eau en une dizaine de minutes, et monter jusqu'à 220 degrés. Le couple l'utilise pour «préparer à l'avance des pâtes, du riz, des œufs durs, etc.».

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Le coût de leurs fours solaires? Près de 500 euros chacun. Sans regrets pour Béatrice et Patrick. «On a réduit notre facture de gaz de 40% en 2022, affirme la première. C'est presque 50 euros d'économies par mois». Malgré tout, ils n'envisagent pas de se passer totalement du four électrique et de la gazinière. En effet, les fours solaires ne peuvent être utilisés que par temps dégagé. De novembre à février, mais aussi la nuit ou les jours de grisaille normande, le couple se rabat sur son ancien matériel. Et Patrick l'admet: s'il n'était pas à la maison, l'utilisation du four solaire serait compliquée. «Il faudrait tout préparer à l'avance le week-end, en journée.»

Sans pour autant bouleverser leur quotidien, la cuisine au rythme du soleil suppose quelques adaptations pour le couple et leurs deux enfants. «On mange davantage de repas froids, mais ça ne nous dérange pas», avouent les conjoints, dont les habitudes alimentaires ont peu évolué. «Si on a des invités, on peut même faire mijoter un repas au four solaire à l'avance, puis le faire réchauffer au gaz avant de passer à table. Ça reste une nette économie d'énergie.»

«Je ne suis pas prêt à troquer mes LED pour des bougies»

Activité physique, compétences en bricolage, modifications d'emploi du temps... Si les outils low-tech s'adaptent aux besoins, ce sont aussi aux usagers de s'adapter aux outils. «Les techniques low-tech peuvent être très performantes, mais elles bousculent nos habitudes», explique Guillaume Guimbretière, physicien au CNRS, qui a lui-même travaillé sur des projets de boulangeries solaires à La Réunion. Pour compenser les difficultés, la clé doit résider dans le collectif, selon le chercheur: «C'est intenable si tout le monde doit produire son propre outil, car personne ne peut être spécialiste en tout.»

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Rendre la low-tech plus accessible, c'est l'objectif de Yoann, 31 ans, qui se forme pour devenir artisan poêlier auprès de l'Association française du poêle maçonné artisanal (AFPMA). Au printemps dernier, cet ancien acousticien installé dans le Cantal s'est lancé dans la construction de sa propre «cuisinière de masse», avant de décider d'en faire son métier.

Ce poêle à bois, entouré d'un îlot de briques, d'un four et d'une plaque en fonte, lui permet de cuisiner tout en chauffant sa maison durant le rude hiver cantalien. «Le temps que vous fassiez du feu pour cuisiner, la chaleur s'accumule dans les briques du poêle et se diffuse lentement», explique Yoann.

Chez Yoann, ce poêle de masse maçonné a une double utilité non négligeable pendant l'hiver: faire la cuisine, tout en affrontant les températures rarement très hautes dans le Cantal. | DR

La construction, faite maison, lui a nécessité près de 4.000 euros de matériaux et sept mois d'apprentissage sur le tas. Désormais, grâce à sa reconversion, il souhaite «rendre le poêle de masse accessible, et pas seulement un luxe de bricoleurs». Son but: faire profiter à un public plus large des avantages économiques et écologiques de cette cuisinière.

Grâce à un système de combustion optimisé, elle utilise en effet trois fois moins de bûches qu'une cuisinière à bois traditionnelle. Yoann estime que son rendement approche les 80% et espère pouvoir le faire authentifier auprès de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), afin que ses futurs clients accèdent à des subventions.

À la fin du printemps, quand les températures ne rendent plus le chauffage nécessaire, Yoann se tourne vers des plaques à induction. En effet, pas question pour lui de se débarrasser des outils high-tech à tout prix, surtout quand elles sont le moyen le plus efficace de répondre à un besoin. «Je ne suis pas prêt à troquer mes LED pour des bougies, résume-t-il en souriant. Et je ne remplacerai pas mon blender par une moulinette à la main, sinon j'ai pas fini de faire mon beurre de cacahuète

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