« Comme vous le voyez, quand elles arrivent ici, les crevettes sont grises », commente Didier Le Tetour, directeur de l’atelier de cuisson d’Unima, à Boulogne-sur-Mer, en ouvrant un carton. C’est dans cette petite usine que l’entreprise réceptionne les crevettes surgelées qu’elle élève et abat dans des fermes de Madagascar reconnues comme « durables » et « responsables ». À la sortie du tunnel de décongélation, les crustacés arborent même de beaux reflets bleutés. « En se nourrissant, l’animal absorbe un pigment orange, des caroténoïdes, identiques à ceux de la carotte, mais ce pigment est bloqué par la crustacyanine de couleur bleu gris. C’est à la cuisson que cette protéine est détruite et laisse apparaître la couleur de la crevette qui colore les étals », poursuit l’expert. Quelques mètres plus loin, les boîtes en plastique de crevettes rose orangé sont couvertes de leurs opercules, prêtes à être dispersées dans les poissonneries de toute la France. Retrouvez tous les épisodes de notre série vidéo « Food Checking » L’histoire aurait pu s’arrêter là. Didier Le Tetour, fair-play, ne souhaitait pas s’exprimer sur les colorants utilisés par certains des concurrents. Et la communication de l’entreprise avait clairement refusé de répondre à toute question sur les sulfites utilisés lors de l’abattage des crevettes. Pourtant l’ingrédient « disulfite de sodium » est bien inscrit noir sur blanc sur le carton de crevettes surgelées stockées à Boulogne. On le retrouve sur l’emballage plastique envoyé aux professionnels. Et, bien qu’il disparaisse mystérieusement de l’étiquette chez les poissonneries, il est bien annoncé dans les listes des ingrédients du produit sur les sites des supermarchés. « Cet antioxydant est ajouté intentionnellement pour des raisons cosmétiques » explique Kelly Frank, ingénieure agronome spécialiste des aliments ultratransformés, « experte du goût » et fondatrice de la société de conseil Goum. Sans lui, les crevettes pourraient développer des taches noires inoffensives, mais peu attrayantes pour le consommateur. Or, dans un article publié en novembre 2022, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a pointé que la famille des sulfites « posait un problème de sécurité pour les grands consommateurs ». Autrement dit, pour résoudre un faux problème, on en a créé un vrai… Dans le reste de notre vidéo, on a comparé l’étiquette du produit Unima avec celles d’autres ingrédients du rayon, puis organisé une dégustation à l’aveugle avec le chef cuisinier Thibault Sombardier, à la tête des restaurants Sellae et Mensae, à Paris. Pour savoir ce que l’on a découvert, appuyez sur « play ». Nous voulions consacrer notre reportage à la couleur des crevettes : comment se fait-il qu’un animal gris dans la nature arbore sur nos étals un beau rose orangé caractéristique ? ! Et comme cela arrive parfois, c’est en réalisant notre reportage que nous nous sommes aperçus que la « vraie » histoire était ailleurs… Et pour cela, l’entreprise Unima, qui élève des crevettes Label rouge à Madagascar avait accepté de nous accueillir dans son « atelier de cuisson », une petite usine à Boulogne-sur-Mer, où les crustacés surgelés sont transformés avant leur commercialisation dans les poissonneries de l’Hexagone et notamment celles des supermarchés.